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23 juillet 2010 5 23 /07 /juillet /2010 12:48

 

LA CONSTITUTION DE LULUABOURG CONSACRAIT L’ECLIPSE DES LUMUMBISTES.

 

Lumumba

On ne réalise pas aujourd’hui l’intensité de la victoire des lumumbistes aux élections législatives de mai 1960. Ce fut un raz-de-marée impressionnant. Mais c’est à l’épreuve du pouvoir que va commencer leur drame. Le pic sera atteint le 5 septembre 1960. Ce jour-là, Kasa-Vubu révoque le Premier ministre Lumumba et six de ses ministres dont Antoine Gizenga, le vice-Premier ministre, Remy Mwamba de la Justice, Gbenye de l’Intérieur, Anicet Kashamura de l’Information, Pierre Mulele de l’Education nationale. Les malheurs des lumumbistes venaient de commencer.
Minés par des déchirements internes quasi enfantins, ils seront en même temps broyés par leurs ennemis de Léopoldville. La Constitution de Luluabourg va les marginaliser pour longtemps.

IMPLOSION DES LUMUMBISTES

Mobutu

Quoique le colonel Joseph-Désiré Mobutu ait neutralisé le chef de l’Etat et le Premier ministre le 14 septembre 1960, en réalité Kasa-Vubu va continuer à exercer normalement ses fonctions présidentielles. Seul Lumumba est réellement empêché d’agir. Il est confiné à sa résidence officielle (l’actuel bureau du vice-président Jean Pierre Bemba), entouré de deux ceintures de militaires : les Casques bleus de l’ONU, bouclés par l’Armée nationale congolaise (Anc). Le gouvernement des étudiants universitaires (le Collège des Commissaires généraux), tracté par Kasa-Vubu et Mobutu, étend son contrôle sur le pays et pour chasser les lumumbistes. Ces derniers réalisent très vite qu’ils ne pourront rien faire à Léopoldville (Kinshasa). Ils envisagent de se replier sur Stanleyville (Kisangani), bastion lumumbiste, pour y poursuivre la lutte.
Le vice-Premier ministre Gizenga arrive à Stanleyville en novembre 1960. Le gouvernement provincial, avec Finant (le père de la chanteuse Abeti Masikini), est acquis à la lutte qui s’engage. Tous les officiers militaires pro-Mobutu sont relevés de leurs fonctions. Le gouvernement de la République populaire du Congo, avec Gizenga et Gbenye, gagne du terrain. Il conquiert le Kivu jusqu’à Manono (Katanga), rafle le Sankuru et s’empare même de Luluabourg (Kananga) pour un temps.
Très vite, les lumumbistes seront caractérisés par des luttes intestines, parfois sanglantes et une désunion remarquée. A la Table ronde de Léopoldville de février 1961, les partis lumumbistes tentent de fusionner : les délégués du Mnc/L, du Psa, du Cerea, de la Balubakat, de la Coaka, de l’Unc, du Mouvement de l’unité Basonge, de l’Unibat et de l’Alco forment le Fronaco (Front des nationalistes congolais), qui fera long feu. En mars 1961, le Mnc/L convoque à Stanleyville un Congrès pour désigner un successeur légal de Lumumba. Pendant six mois, les lumumbistes vont s’épuiser en vaines discussions sur la nouvelle direction. Fin août 1961, Kamitatu Cléophas et Gbenye négocient, à Léopoldville, pour former un cartel lumumbiste devant comprendre le Mnc/L, le Psa et la Balubakat. Antoine Gizenga, qui vient d’être choisi par le conclave de Lovanium comme vice-Premier ministre de Cyrille Adoula, tente de devancer ses rivaux lumumbistes. Début septembre, Gizenga annonce à Stanleyville que son parti, le Psa, vient de fusionner avec le Mnc/L. Le résultat donne le Parti national lumumbiste (Panalu), ancêtre de l’actuel Palu. Le chef du nouveau parti est Gizenga lui-même. Très vite, le président du Mnc/L, Gbenye, son vice-président Joseph Kasongo, le président de la province Orientale Manzikala descendent sur Stanleyville pour rejeter les prétentions des nationalistes avant la réunion d’un Congrès des nationalistes.

RENVOI DU PARLEMENT

15.9.1961: Antoine Gizenga et Cyrille Adoula (le vice et le 1er ministre congolais)

Au début 1962, une partie des lumumbistes entre au gouvernement Adoula avec en tête l’aile Kamitatu du Psa. Les autres refusent d’y adhérer. Il s’agit de l’aile Gizenga du Psa, d’une fraction du Mnc/L et du Cerea. Décidément, les lumumbistes sont divisés et s’entre-déchirent.
La première Constitution du Congo indépendant, la Loi fondamentale, était provisoire. Sa durée maximale devait être de quatre ans. Donc, elle ne devait pas aller au-delà du 30 juin 1964. La nouvelle Constitution devait être l’œuvre de deux chambres législatives du Parlement congolais. La Commission constitutionnelle gouvernementale, dirigée par le secrétaire d’Etat à la Justice, le professeur Marcel Lihau, et une commission de trois experts de l’Onu, produisent des projets de Constitution. Tous ces documents atterrissent au Parlement, qui se fera remarquer par sa lenteur. Le 28 mars 1963, s’ouvre la 6ème session ordinaire du Parlement. L’échéance fatidique du 30 juin 1964 s’approche dangereusement car, au-delà, ce sera un vide juridique terrifiant.
Alors, Kasa-Vubu agite la sonnette d’alarme dans son discours d’ouverture aux parlementaires :  » Si nous voulons que le pays soit gouvernable, il est indispensable de lui donner une Constitution définitive. Celle-ci est réclamée par tous « . Malheureusement, à la fin de la session ordinaire en juin 1963, le travail est insignifiant suite à  » l’absentéisme de la Commission et à l’incompétence de la plupart en matière juridique constitutionnelle « . Kasa-Vubu est très déçu : le 30 juin 1964 approche. C’est dans un an et les jours passent vite.
Alors, il convoque les chambres dès le 26 août en session extraordinaire. La session doit commencer le 30 août pour cent jours. Le seul point à l’ordre du jour est l’adoption de la Constitution. Rien d’autre. Les parlementaires refusent de se plier à cet unique point du calendrier qui les prive de la possibilité de censurer le gouvernement. Un bras de fer dangereux s’engage entre le Parlement et les chambres. De guerre lasse, Kasa-Vubu prend, le 29 septembre, la grave décision de renvoyer le Parlement en vacances sine die, sans possibilité de reprise. Le même jour, le chef de l’Etat prend deux ordonnances : l’une institue une commission constitutionnelle devant siéger à Luluabourg (Kananga) pour élaborer un projet de Constitution à soumettre au référendum, l’autre dote le gouvernement du pouvoir de légiférer par ordonnances-lois jusqu’à la promulgation de la future Constitution.

CHASSE AUX LUMUMBISTES

Kasa-Vubu

Déjà, le 25 septembre, le Sénat avait défié Kasa-Vubu en votant une résolution qui exigeait la libération immédiate d’Antoine Gizenga incarcéré à l’île de Bula-Mbemba. Le même jour, une manifestation conjointe Mnc/L et Psa est organisée pour la libération de Gizenga. Le pouvoir réagit fermement, sept députés lumumbistes sont mis aux arrêts le 29 septembre. La mise en congé du Parlement est applaudie par toute la presse. C’est la même réaction au niveau des syndicats importants : Utc, Fgtk, Cslc et la redoutable Ugec (Union générale des étudiants congolais), mais qui exigent aussi l’extension de la mesure au gouvernement taxé d’incompétent et de corrompu. A l’opposer, les partis politiques de l’opposition lumumbiste, majoritaires au Parlement, vont déterrer la hache de guerre. Ils se réunissent du 29 septembre au 3 octobre. Ils vont créer à Léopoldville (et non à Brazzaville) le Conseil national de libération (Cnl) le 3 octobre. Le Cnl vise à s’opposer aux mesures prises le 29 septembre et renverser le gouvernement Adoula. Le Cnl, qui sera à la base de la terrible rébellion muleliste, va conquérir durant l’année 1964 les trois-quarts du pays. Et se divisera en deux blocs : le Mnl/Gbenye avec Soumialot, Laurent-Désiré Kabila; et le Mnl/Bocheley avec Gizenga, Pauline Lumumba, Pierre Mulele, Lubaya (le père de l’actuel gouverneur du Kasaï Occidental).
La création du Mnl pousse le pouvoir à se raidir et à prendre des mesures très musclées. La ville de Léopoldville (Kinshasa) est mise sous régime militaire spécial et déclarée en état d’exception. Le ministre de la Défense nationale, Jérôme Anany (qui figurera en 1966 parmi les pendus de la pentecôte de Mobutu, avec Kimba, Bamba et Mahamba) est désigné Commissaire général extraordinaire de Léopoldville. Il a deux assistants : le ministre de la Justice Justin Bomboko et son collègue de l’Intérieur Maboti. Deux coordinateurs leur sont attachés : l’Administrateur en chef de la sûreté nationale Nendaka se charge des affaires judiciaires et celles de sûreté; le secrétaire général à l’Intérieur, Damien Kandolo, se charge des affaires civiles et militaires.
Le rouleau compresseur se met en marche avec une détermination infernale : tous les partis lumumbistes sont frappés d’interdiction. Il s’agit du Mnc/L, Psa de Gizenga, Uda de Lubaya, Pncp. Leurs dirigeants sont mis aux arrêts. D’autres s’enfuirent à Brazzaville, où s’installera le Cnl pour activer la rébellion muleliste commencée déjà en juillet 1963. Les leaders syndicalistes, qui manifestaient un peu trop au goût du pouvoir, sont mis aux arrêts. Il s’agit de André Bo-Boliko, Alphonse Roger Kithima, Thomas Booka et Remy Siwa. Le journal  » Présence congolaise  » de Joseph Mbungu est suspendu pour 6 mois, pour publication d’articles  » de nature à troubler l’ordre public « .

COMMISSION CONSTITUTIONNELLE

Tshisekedi et Mobutu

Le 27 novembre 1963, Kasa-Vubu prend une ordonnance fixant la composition et l’organisation de cette commission. Elle doit avoir 127 participants. Le parlement majoritairement lumumbiste n’est pas représenté, du fait de son ajournement. Les partis lumumbistes dissous et traqués sont absents. L’Ugec refuse d’y participer  » pour cause d’illégalité de l’entreprise « . Les syndicalistes libérés le 9 décembre 1963, décident finalement d’y participer.
Par ordonnance du 13 décembre 1963, Joseph Ileo est nommé à la présidence de la Commission constitutionnelle. Le 17 décembre 1963, Marcel Lihau, professeur en Droit à l’Université Lovanium (actuelle Unikin) est nommé par le Premier ministre Adoula comme secrétaire général de la Commission composée de jeunes universitaires congolais : Etienne Tshisekedi, Barthélemy Dipumba, Lundu, Mantomina, Albert Mpase, Paul Muhona, Wembi et Henri Takizala.
La Commission constitutionnelle s’ouvre à Luluabourg le 10 janvier 1964 par un discours de Kasa-Vubu. Les travaux vont durer trois mois, jusqu’au 10 avril 1964. Le projet de Constitution, soumis au référendum du 25 juin au 10 juillet, sur la partie du Congo non occupée par la rébellion lumumbiste, sera promulgué le 1er août 1964 par Kasa-Vubu. Sans surprise, la Constitution de Luluabourg va consacrer les thèses fédéralistes contre les thèses unitaristes des lumumbistes.
Même dans la gestion du pays, les lumumbistes seront marginalisés. Il faudra attendre le samedi 17 mai 1997, pour les voir rebondir, par M’zee Kabila, l’ancien maquisard de Fizi-Baraka. Dans l’entre-temps, Mobutu aura débauché et manipulé pour son pouvoir plusieurs lumumbistes : Kiwewa, le général Victor Lundula, Tony Mandungu, Mungul-Diaka, Kitenge Yezu, le sinistre Faustin Manzikala, Cléophas Kamitatu, Thomas Kanza.
Texte de Tshilombo Munyengayi, Ass. Fac. Droit, Unikin- / Tiré du journal Le Potentiel du 29 août 2005.
Photos: archives www.rd-congo.info

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